L’impatience de l’entrepreneur est-elle productive ?
L’histoire va-t-elle plus vite ? C’est en tous cas la question que se posait Jean-Noël Jeanneney en 2001, offrant une résonance nuancées aux propos de Francis Fukuyama sur la fin de l’histoire. Quelle que soit la thèse retenue, les évolutions rapides de notre société au cours des dernières décennies laisseraient à penser qu’il est de plus en plus important d’observer et agir vite. Peut-être…
Enthousiasme et angoisse, vecteurs d’impatience
A l’heure où notre cerveau humain n’est plus en mesure de saisir la célérité proposée par les avancées de l’intelligence artificielle, celles et ceux qui veulent dessiner le monde de demain semblent souvent portés par un sentiment d’urgence.
Le visionnaire voudrait que la réalité dans laquelle il se projette, apparaisse presque immédiatement pour pouvoir goûter rapidement aux plaisirs qu’il a imaginés. Il est porté par son dessein et ne conçoit pas que le monde reste planté dans son inertie fade. Ce qui l’entoure et ceux qui l’entourent doivent se mettre au diapason pour nourrir sa priorité absolue.
Quant à celui qui voit la fin du monde arriver à grands pas, même s’il se dit qu’il est déjà trop tard, s’il n’est pas paralysé, il se précipitera dans la recherche de solutions pour fuir la décrépitude. Peut-être a-t-il l’espoir secret de sauver les meubles malgré un discours pessimiste ? Sûrement se dit-il qu’il peut au moins sauver sa peau…
Angoissé ou enthousiaste, un entrepreneur comme Elon Musk mettra tout en oeuvre pour pouvoir aller sur Mars le plus rapidement possible. Or, si tout le monde n’est pas Musk, tout entrepreneur est-il forcément impatient ? Tout entrepreneur aurait-il d’ailleurs raison de vouloir se laisser porter par son impatience comme si la course aux marchés et aux levées de fonds était un gage de réussite de la vision. Oui, car au final, il est toujours question de vision quand on parle d’entrepreneuriat.
Le temps, prisme sublimateur de la vision
Certes le capitalisme financier est passé par là, les cycles économiques se sont raccourcis, les entreprises n’évoluent plus, elles se métamorphosent ou elles meurent. Toutefois, le temps reste une valeur non compressible. Il apportera toujours la dissociation forcée nécessaire autant à l’apprentissage qu’à la prise de recul pour juger de la pertinence ou de l’efficacité des actions menées.
Certes, si dans certains domaines “le temps ne fait rien à l’affaire”, il est un allié de la confiance, des convictions et du potentiel exponentiel d’une équipe ou d’une structure souple et agile. A l’heure du growth hacking, le temps ramène au sens et à la pertinence. Il permet de consolider des acquis. Reste à trouver le bon rythme…
Est-il encore possible d’entreprendre en laissant le temps au temps ?
Chi va piano, va sano et va lentano…
Quand les progrès technologiques accaparent l’attention de nos cerveaux lents et aisément stupéfaits de leur propre capacité créative, d’autres rythmes se rappellent à nous. Ils sont ceux de l’évolution de notre espèce, de nos sociétés, de nos structures culturelles, politiques et mentales. La Terre tourne toujours globalement à la même vitesse sur elle-même et autour du soleil. Le référentiel de base reste donc sensiblement le même.
De la même façon qu’une tomate mûrie sous serre n’a pas la saveur d’une “pomme d’or” qui aura pris le temps de grandir à la chaleur des rayons directs du soleil, un projet entrepreneurial peut-il exprimer tout son potentiel dans une course à l’existence rapide ?
Ni trop lent, ni trop rapide… ou un peu des deux à la fois
Certains porteurs de projets laissent parfois leurs idées devenir des regrets, à force de perfectionnisme, d’hésitations et de doutes multipliés. D’autres, à l’inverse, s’essoufflent à ne pas prendre de hauteur sur leur aventure.
Il est certainement possible d’avancer à plusieurs vitesses à la fois, saisir les opportunités quand elles se présentent et respecter le temps de maturation nécessaire à chaque idée. Foncer vers son MVP (minimum viable product) c’est bien, regarder ce qui se passe autour de soi c’est bien. Prendre le temps de sortir la tête pour voir dans quelle direction va le monde…. c’est mieux.
Prendre le temps pour en gagner au moment idéal, c’est un peu l’idéal de l’entrepreneur qui, à l’image d’un décathlonien, doit savoir être bon dans les disciplines de fond comme dans le sprint.